Institutrices en Oisans...
Cet article pour un coup de cœur !
J'ai lu un livre vraiment passionnant, et je veux en faire ici la publicité.
Ce livre est un concentré d'humanité, de générosité, de dévouement. Une suite de récits captivants écrits par d'anciennes maîtresses d'école qui, après trois ans de formation à l'école normale de Grenoble étaient "expédiées" en Oisans .
Finalement ces souvenirs assemblés forment un hommage extraordinaire à ces jeunes enseignantes qui étaient littéralement abandonnées dès leur courte formation achevée…
En véritables "hussardes" de l'Education Nationale elles affrontent avec courage et détermination des situations extraordinaires. Jeunesse, enthousiasme, humanisme, vaillance tout est dit dans ces pages revigorantes.
Voilà une lecture réconfortante qui a rechargé quelques temps les batteries d'un vieux misanthrope que je suis peu à peu devenu…
Ces demoiselles au tableau noir
Souvenirs d'institutrices en Oisans
Collection : "l'Empreinte du temps"
Presse Universitaires de Grenoble
Sous la direction de Roger Canac
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"Le titre de ce livre en cache un autre, qui pourrait être «Maîtresses d'école du bout du monde». Un bout du monde, en effet, le massif de l'Oisans, au sud-est de Grenoble, avec ses sommets à près de 4000 mètres, ses vallées et ses rivières tumultueuses aux noms chantants, la Romanche, le Vénèon, le Ferrand, la Lignarre, la Sarenne ou l'Eau d'Olle.
Avant comme après la Seconde Guerre mondiale, les routes sont rares et les chemins acrobatiques, qui conduisent à des villages ou des hameaux perdus, coupés du monde par la neige, les avalanches, les coulées de boue.
La « demoiselle » qui vient de terminer ses trois ans à l'Ecole normale de Grenoble se trouve projetée dans un autre monde : celui de la haute montagne à la fois rude et exaltant. Mais l'évocation de cet univers à la Zola est aussi un hymne à la joie : une leçon simple, sans grandiloquence, de celles qu'on appelait justement « maîtresses »..."
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Lisez ce livre, je suis bien certain que vous serez sous le charme, et que la dernière page tournée vous aurez ce vague sentiment d'avoir été un peu changé, amendé par cette lecture…
Je ne peux pas m'empêcher d'en retranscrire ici un court extrait.
Ce récit a été transmis par Simone Moulin nommée à Villard Reymond pour son premier poste en 1950…
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Le départ pour les provisions de Noël
Cet hiver-là avait été «raisonnable» : un mètre dix de neige dans la cour de l'école : mais il fallait compter avec le vent : la «burle». L'école était au centre du village qui s'étirait tout au long d'un chemin creux. Un matin : pas d'élèves. Dans la nuit, la «burle» avait enfoui le chemin sous les congères; il fallait attendre le passage du cantonnier qui traçait à la pelle.
Le samedi matin (que j'ai dû remplacer par un jeudi) début des congés de Noël, une personne par famille avec le mulet chargé, prit la direction de Bourg-d'Oisans en vue d'emplettes. Le cantonnier et quelques hommes conduisaient la caravane. C'est alors seulement que je compris l'utilisation des poteaux reliés par des câbles au col du «Solude» : il n'y avait plus de chemin, les congères étaient énormes, les câbles bien venus. Les mulets passèrent cependant et nous attaquâmes la descente en lacets. Des coulées de neige en nombre : mais la plus importante dite «des pâturages» dépassa la possibilité des mulets que l'on déchargea. Chacun prit la charge sur son dos et tandis que les mulets, attachés à la queue leu leu, remontaient conduits par un volontaire, nous descendîmes tant bien que mal sur les blocs énormes de neige durcie. À mi-parcours se trouvait un coin-abri où se tenaient pelles et pioches en permanence. Il aurait été intéressant, me semble-t-il de filmer ce petit vrai documentaire pour nos jeunes collègues qui ne connaissent que la voiture.
Des moments joyeux
C'étaient nos rencontres, Denise à Villard-Notre-Dame et moi. Un jeudi chez l'une, le suivant chez l'autre. Cela faisait une bonne balade en plus du soutien moral. Le chemin de Villard-Reymond - à l'époque - pour rejoindre Villard-Notre-Dame commençait par une bonne grimpette pour accéder au col de « la maison des loups », de là il changeait de versant, franchissait des couloirs côté Bourg-d'Oisans et se terminait par une petite descente vers Villard-Notre-Dame. Un jeudi, nous nous étions donné rendez-vous à la Croix du Carrelet, promontoire belvédère d'où l'on admirait Rochail, le massif de la Meije et les Rousses. C'était un instant de plaisir intense mais qui cessa dès l'arrivée de la neige. De fin novembre à fin mai : hélas, chacun chez soi.
La fête de l'arbre de Noël à Villard-Reymond
De mémoire de «p'tarons» la dernière fête de l'école se perdait dans un passé lointain. Ancienne éclaireuse, je savais installer une petite scène avec rideau conduit par une ficelle double, vrai petit théâtre. J'avais fait préparer par mes élèves et les jeunes du village un programme qui se tenait debout : chants, poésies, danse, chants mimés, chœur parlé avec bruitage. Les jeunes ont donné une farce du Moyen Âge : «La farce du pâté et de la tarte». J'avais aussi de bons disques. Le prêtre - sans doute indulgent - était muet d'admiration. Puisqu'on y croyait, ça marchait. Raymonde m'apporta une aide irremplaçable pour le buffet-buvette et la tombola. Avec l'argent recueilli, en juillet, j'emmenai mes élèves et les parents volontaires au lac du Bourget, où pour la première fois ils prenaient le bateau jusqu'à l'abbaye de Hautecombe.
La fin de l'année
À mon retour après Pâques (que j'avais passé à Montélimar dans les vergers fleuris) je me retrouve au col du «Solude» avec quarante centimètres de neige. Là, le «cafard» m'a prise... C'est seulement début juin que l'on put sortir les animaux de leur long hivernage (pour les «débrouner» en patois du coin). On les faisait marcher sur les chemins du village pour les réhabituer à se servir de leurs pattes. C'était amusant, ils ne connaissaient plus la ligne droite. Nous sommes passés directement de l'hiver à l'été. Tous les pâturages exubérants de fleurs alpines ou des champs : asphodèles, gentianes, œillets, trolles, narcisses... une féerie ! Je montais au-delà de la cabane du berger à moutons pour surprendre chamois et marmottes. Nos ballades avec Denise avaient recommencé. Nous avons clos la fin de l'année par des retrouvailles au refuge du Carrelet après La Bérarde. Nous étions une dizaine de collègues amies à avoir «expérimenté» l'Oisans. Nous nous retrouvons chaque année pour un banquet de promotion.
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Un peu dans le même ordre d'idée vous pouvez aussi lire : Une soupe aux herbes sauvages d'Emilie Carles.
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"Roman misérabiliste, récit larmoyant ? C'était l'écueil. Mais la vieille dame n'est pas de la race qui se lamente ou qui s'apitoie. Elle promène une force tranquille, une santé à toute épreuve, une joie même étonnante. Dans ce monde des campagnes qui ne croit qu'à Dieu et à l'autorité, elle professe féminisme, anarchisme et pacifisme. Comme ses petits-enfants, aujourd'hui. Elle n'accepte aucune fatalité, aucune soumission. Et se bat au nom d'un idéal que rien n'entamera. Mélange d'ardeur et de candeur, de révolte et d'ironie, d'idéal et de réalisme qui donne à "sa soupe " cette saveur si particulière."
Janick Jossin L'Express
"Que l'on n'attende pas de cette Soupe aux herbes sauvages, une aimable collection d'historiettes pittoresques, un florilège de traits campagnards, vieilles tisanes et vieilles lunes. Emilie Carles, au terme de ses jours, a pris la plume comme on prend son épée : pour combattre les préjugés, pourfendre les puissants et les riches, dire leur fait aux malins."
Bruno Frappât Le Monde
"Son livre est formidable. Elle ne cherche pas à faire littéraire, et elle y est en plein, du premier coup. Allez-y carrément".
Cavanna Charlie Hebdo
Tout le monde devrait lire sa Soupe aux herbes sauvages. C'est un des plus beaux livres de l'année. Un livre salutaire.
Richard Cannavo Le Matin
Voici un court extrait du livre décrivant l'arrivée de l'institutrice Mademoiselle Allais (alias Emilie Carles) à la Monta en janvier 1924 :
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Mais Abriès ce n'était pas La Monta, il y avait encore plusieurs kilomètres avant d'y arriver. Personne ne m'avait encouragée à faire cette route de nuit. D'ailleurs comment l'aurais-je faite? Il fallait que je trouve quelqu'un qui veuille bien m'y conduire. Je m'étais donc résignée à ce contretemps et j'étais décidée à trouver une chambre pour passer la nuit.
C'est à ce moment-là que je tombai nez à nez avec un grand escogriffe qui tenait par la bride une jument qui ne faisait pas loin d'un étage de haut.
« Pardon, me dit le bonhomme, vous êtes bien mademoiselle Allais, la nouvelle institutrice ?
Oui », dis-je. A part moi, je me demandais qui il était et ce qu'il me voulait.
«Je viens vous chercher pour vous amener à La Monta. Je viens de la part de votre amie Yvonne Richard, si vous voulez bien me permettre je vais charger vos valises. »
Le bonhomme prit mes bagages et il les porta au- delà de la jument, vers une espèce de cahute montée sur un traîneau. La jument c'était déjà quelque chose, un véritable monument, mais le traîneau avec dessus cette bicoque en planches d'où dépassait un tuyau de poêle qui fumait comme la cheminée d'un paquebot, c'était d'un comique! En plus j'étais tombée sur un bavard.
«C'est une chance que vous arriviez ces jours-ci, mademoiselle; vous seriez venue il y a seulement une huitaine vous risquiez la mort dans mon taxi.
— Votre taxi !
— Ben oui! c'est comme ça que je l'appelle, c'est mon traîneau-taxi, sans lui il ne serait pas question de voyager par ce temps. C'est le dernier confort de la montagne, il est autrement confortable que celui que vous avez pris depuis Guillestre. Je peux vous assurer que vous ne risquez plus rien.
Ah ! bon, je ne risque plus rien ! »
J'étais perplexe. Je me suis demandée si je n'avais pas affaire à un fada et si je pouvais lui faire confiance. A l'intérieur de la cabane il faisait bon, le poêle ronflait.
«Ce que je veux dire, continuait le bonhomme pendant qu'il m'installait, c'est que la semaine dernière j'ai bien failli brûler vif là-dedans, ce sont les cantonniers qui m'ont tiré d'affaire.
Ah ! bon, et maintenant vous dites que ça ne peut plus arriver ?
Non, je l'ai perfectionné, avant je n'avais qu'une porte et l'autre jour, quand je me suis renversé, le taxi a basculé du côté de la porte et moi j'étais tout seul avec le poêle qui fumait tout ce qu'il pouvait, je ne pouvais plus sortir. La porte était bloquée par la neige et s'il n'y avait pas eu ces cantonniers qui m'ont vu et qui sont venus me redresser j'aurais fini enfumé comme un renard dans son trou. Depuis que j'ai refait la cabine avec deux portes, il n'y a plus aucun risque, si une porte se bloque, on a l'autre. Allez, en route ! Hue ! la Bien Fendue !
La Bien Fendue ?
Oui, mademoiselle, c'est son nom, vous avez vu cette croupe! Il n'y en a pas deux comme elle pour se défendre dans la neige molle, en plus elle connaît sa route, il n'y a aucun danger de basculer dans un précipice.
Pourtant, vous avez bien basculé l'autre jour.
Ah ça ! La Bien Fendue n'y est pour rien, c'était le vent. »
Nous sommes partis. On n'y voyait pas à dix pas mais le bonhomme avait l'air de connaître la route et la jument aussi. Lui n'a pas arrêté de parler pendant les deux heures que dura le voyage. Deux heures pour faire les huit kilomètres qui nous séparaient de La Monta. Lorsque nous sommes arrivés, Yvonne Richard était là qui m'attendait.
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