Le Trièves : Première approche aux pieds du Grand Ferrand
Tréminis l'Eglise surplombé par le Grand Ferrand.
" J'aime particulièrement le Trièves. Cette pleine tourmentée qui s'étend en triangle sous l'Obiou et le Grand Ferrand. Je suis à pied d'œuvre pour mes marches dans la montagne. Et puis j'aime la vie avec ces paysans âpres et doux."
Jean Giono. Lalley (1935).
Nous sommes ici dans le Trièves. Pays rural pétri d'équilibre et de sagesse. Ultime terre préservée du Dauphiné, à l'écart des hordes barbares de touristes dévastateurs, des industries et des excès du progrès ravageur ce "cloître de montagnes" est à la mesure de l'homme. Aucun château exceptionnel, pas de cathédrale, le patrimoine y est simple, vrai, ancré dans le quotidien et la vie. C'est la terre qui fait son histoire. Des générations de paysans ont scrupuleusement brossé, peigné, enrichi avec la méticulosité des jardiniers ce territoire et en ont fait un exemple d'homogénéité esthétique. Ce pays ne refuse pas la modernité, il en refuse seulement ses aspects médiocres et inutiles. Pour combien de temps encore ?
" Il est évident que nous changeons d'époque. Il faut faire notre bilan. Nous avons un héritage, laissé par la nature et par nos ancêtres. Des paysages ont été des états d'âme et peuvent encore l'être pour nous-mêmes et ceux qui viendront après nous; une histoire est restée inscrite dans les pierres des monuments; le passé ne peut pas être entièrement aboli sans assécher de façon inhumaine tout avenir. Les choses se transforment sous nos yeux avec une extraordinaire vitesse. Et on ne peut pas toujours prétendre que cette transformation soit un progrès. Nos " belles " créations se comptent sur les doigts de la main, nos " destructions " sont innombrables. Telle prairie, telle forêt telle colline sont la proie de bulldozers et autres engins; on aplanit, on rectifie, on utilise; mais on utilise toujours dans le sens matériel, qui est forcément le plus bas. Telle vallée, on la barre, tel fleuve, on le canalise, telle eau, on la turbine. On fait du papier journal avec des cèdres dont les Croisés ont ramené les graines dans leurs poches. Pour rendre les routes " roulantes " on met à bas les alignements d'arbres de Sully. Pour créer des parkings, on démolit des chapelles romanes, des hôtels du XVIIe, de vieilles halles .Les autoroutes flagellent de leur lente ondulation des paysages vierges. Des combinats de raffineries de pétrole s'installent sur des étangs romains. On veut tout faire fonctionner. Le mot "fonctionnel" a fait plus de mal qu'Attila; c'est vraiment après son passage que l'herbe ne repousse plus. On a tellement foi en la science (qui elle-même n'a foi en rien, même pas en elle-même), qu'on rejette avec un dégoût qu'on ne va pas tarder à payer très cher tout ce qui, jusqu'ici, faisait le bonheur des hommes. Cette façon de faire est déterminée par quoi ? Le noble élan vers le progrès ? Non : le besoin de gagner de l'argent... "
Jean Giono. La chasse au bonheur. Il est évident.
" J'arrive de Lalley. Le contact des montagnes m'a réjoui le cœur. Je suis comme éclairci de l'air respiré. Edith Berger est là toute seule devant une prairie pleine de grillons. Tout est si bien, fleurs, herbes, et chants d'insectes... "
Jean Giono. Journal 7 juin 1935.
Le Grand Ferrand (vue prise de Tréminis le Serre) : Baisser de rideau, la fête est finie et le mauvais temps s'installe !
Naturellement, attendre... attendre... le printemps vient. Il en est de ça comme de tout. Le printemps arriva. Vous savez comment il est : saison grise, pâtures en poils de renard, neige en coquille d'œuf sur les sapinières, des coups de soleil fous couleur d'huile, des vents en tôle de fer-blanc, des eaux, des boues, des ruissellements, et tous les chemins luisants comme des baves de limace. Les jours s'allongent et même un soir (il fait déjà jour jusqu'à six heures) il suffit d'un peu de bise du nord pour qu'on entende, comme un grésillement, la sortie des écoles de Saint-Maurice : tous ces enfants qu'on lâche dans la lumière dorée et de l'air qui pétille comme de l'eau de Seltz. Depuis longtemps on avait revu la pointe du clocher au-dessus de la girouette ; on avait revu les prés de Bernard, les clairières, la Plainte, le Jocond. On avait revu que les pistes qui montent sur le Jocond ont beau monter raides, elles ne vont pas dans les nuages : il y a le ciel. Un beau ciel couleur de gentiane, de jour en jour plus propre, de jour en jour plus lisse, englobant de plus en plus des villages, des pentes de montagnes, des enchevêtrements de crêtes et de cimes. Peut-être même trop...
Jean GIONO : Un roi sans divertissement
"Ainsi cette construction-là, avec ses quatre énormes montagnes où s'appuie le ciel; cette haute plaine du Trièves cahotante, effondrée, retroussée en houle de terre (...) ce constant appel de lignes, de sons, de couleurs, de parfums vers l'héroïsme et l'ascension, cette construction : c'est le cloître, c'est la chartreuse où je viens chercher la paix (...) J'arrive, mes montagnes ! Fermez la porte derrière moi. "
Jean Giono.
Certains jours, lorsque l'humeur du temps est propice c'est tout le Trièves et tout le Dévoluy qui deviennent lieux de silence et de contemplation. Un simple randonnée, le rythme lent et obstiné de la marche aidant, se métamorphose en méditation et le paysage devient une immense cathédrale : Le passage obligé en sous-bois pour atteindre les premières pentes représente assez bien un nartex. (Un sas entre le quotidien et la petite aventure qui attend !) Les sommets évoquent d'immenses et massifs piliers soutenant la voûte céleste. Le ciel, couleur "bleu de Chartres", devient vitrail. La lente et laborieuse progression vers le sommet auréolé de soleil (c'est le matin et on marche vers l'est) se transforme en un cheminement de pèlerin vers le cœur illuminé de lumière.
La …
Oh là ! il est temps de se calmer, les endorphines sécrétées par la marche ont des effets extraordinaires aujourd'hui…
Cependant il faut bien admettre que parfois une alchimie secrète marie ciel et terre et alors on se sent extraordinairement bien.
La grotte de la Fétoure. Une antre, un œil de bœuf surplombant le Trièves, au loin le Vercors.
"La montagne en été.
Je connais un homme (qui ne le connaît pas ?) qui ne va à la montagne qu'en hiver, qui sait parfaitement skier, c'est-à-dire glisser sur une pente au sommet de laquelle il s'est fait remonter mécaniquement, et qui n'a jamais vu de lys martagon, n'en a jamais senti l'anis; il n'a jamais vu voler l'apollon avec ses ailes tachées de sang.Les sentiers battus n'offrent guère de ressource ; les autres en sont pleins. "
Jean Giono. La chasse au bonheur.
Après le col des Aurias, le col de Charnier. A cheval sur les départements de l'Isère, des Hautes Alpes et de la Drome le minuscule lac du Lauzon ne se dévoilera qu'au dernier moment.
Le vallon de Charnier.
A gauche le Grand Ferrand caché en grande partie par Vallon Pierra. La randonnée se poursuivra par la traversée du Clos Rognon, le Pas de Quart où l'on bifurquera évidemment dans Vallon Froid, le bien nommé, pour enfin déboucher par un couloir-cheminée au sommet du Grand-Ferrand.
"Petite" randonnée de 22 km, 2500 m de dénivelé et 11 heures de marche si l'on part du pique nique du Grand-Ferrand, non loin de Château-Méa…
Vue prise du col des Aurias : Le col de la Croix, la montagne de Paille, la montagne de France qui à l'image de notre pays si contrasté dans ses paysages est vertigineuse à l'ouest et toute douce et paisible à l'est où elle étale ses vastes pâturages.
La tête du Lauzon : Une citadelle hautaine aux pieds d'argile. Les immenses clapiers qui jonchent ses flancs symbolisent magnifiquement les combats qu'elle a mené face aux éléments et au temps.